SORTIE LE 31 DECEMBRE 2014

 


Mon Amie Victoria

un film de : Jean-Paul Civeyrac

avec : Guslagie Malanda, Pascal Greggory, Catherine Mouchet, Alexy Loret

produit par : Les Films Pelléas , Versus Production

avec l'aide : du CNC, des Régions Bourgogne et PACA

distribué par : Les Films du Losange

tourné en : Arri Alexa Plus, Zeiss Master Prime, Zoom Optimo

moyen techniques : TSF

laboratoire : Eclair

étalonneuse : Aude Humblet

1h38 ; couleur ; 2.35 

 

SYNOPSIS

Victoria, une petite fille noire de 8 ans, issue d’un milieu pauvre, découvre par hasard la vie d’une famille bourgeoise et s’en émerveille. Des années plus tard, elle retrouve Thomas, l’un des fils de cette famille. Marie naît de leur histoire d’amour passagère. Victoria décide de ne rien dire à Thomas et d’élever seule son enfant. Lorsque Marie a sept ans, Victoria décide que sa fille doit avoir un meilleur avenir qu’elle, et revient vers cette famille qu’elle a perdue de vue.

Adaptation du roman Victoria et les Staveney de Doris Lessing


LA CRITIQUE TELERAMA LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 31/12/2014

On aime passionnément

Le roman de Doris Lessing, Victoria et les Staveney, se situe à Londres. Le film, à Paris. Mais l'époque est bien la même : c'est la nôtre. Et l'esprit du livre demeure : une empathie, dénuée de sensiblerie, pour une héroïne malmenée par la vie, qu'on suit de l'enfance à la trentaine. Noire, pauvre, élevée par sa tante malade, Victoria connaît un bref moment d'éblouissement, petite fille, quand elle dort, une nuit, dans le grand appartement bourgeois d'un garçon de sa classe. Toute la suite en découlera.

Il faut s'arrêter sur la manière dont Jean-Paul Civeyrac met en scène cet épisode : chez les riches, qui sont aussi des artistes de gauche, Victoria passe la soirée seule avec le grand frère de son camarade. Il est à peine adolescent, et il dégage une bonté et une sérénité exceptionnelles. Victoria le voit comme un demi-dieu en son royaume, et le cinéaste le filme ainsi. Adulte, ce garçon sera joué autrement, par un autre acteur, forcément. Ce changement de corps et de visage sert au mieux le sujet : jamais la jeune femme ne retrouvera celui qui l'avait fascinée.

Les êtres, les choses et les événements échapperont à Victoria. Elle n'est pas la narratrice de sa propre histoire — racontée en voix off par sa meilleure amie, sa soeur d'adoption. Elle se laisse porter par le hasard et le désir des autres. Quand elle retrouve, dans sa vingtaine, le fils cadet de la famille blanche aisée, elle répond à ses avances et tombe enceinte sans l'avoir voulu. Plus tard, elle subira les absences répétées du père de son deuxième enfant. Passive, comme absente, et pourtant lucide, consciente de son destin.

Cette héroïne que Doris Lessing décrit comme « invisible » (par les nantis), Jean-Paul Civeyrac en fait une étrangère absolue, non pas juridiquement, mais dans sa chair. Spectatrice des autres, retranchée en elle-même. Le film, comme le roman, dit sans ambages qu'être noir et mal né dans nos sociétés occidentales conduit à se sentir à jamais sur­numéraire, à l'écart. Quand bien même la beauté et la jeunesse — c'est le cas de Victoria — déclenchent des opportunités, plus ou moins illusoires.

Le cinéma du discret Civeyrac se renouvelle profondément avec ce super­be récit au long cours, cette profusion d'événements. Il se réchauffe aussi, le réalisateur se tenant au plus près de ses personnages. Mais ce qu'il reste de bressonien dans son style (deNi d'Eve ni d'Adam à Des filles en noir) exprime parfaitement la distance au monde de Victoria. L'accueil plein de compassion de la famille riche — avec Catherine Mouchet et Pascal Greggory en grands-parents à la fois exemplaires et monstrueux — semble ainsi vu à travers la vitre épaisse de la solitude et de la différence. On dirait un trompe-l'oeil, une imitation de la vie. Mon amie Victoria renvoie ainsi irrésistiblement au chef-d'oeuvre de Douglas Sirk, Mirage de la vie. Pas seulement par ses thèmes (le racisme et ses variantes, les classes sociales, la réussite, la fatalité), mais aussi par le doute métaphysique qu'il laisse planer sur toutes les activités et les passions humaines. — Louis Guichard